Le Rafale et l’Inde, c’est l’histoire d’une épopée qui a démarré il y a tout juste 20 ans, en 2001, lorsqu’est exprimé le besoin de lancer une compétition afin de doter l’Indian Air Force d’un nouvel appareil de combat de classe intermédiaire, et multirôles, le MMRCA. Les appels d’offres indiens sont connus des constructeurs du monde entier pour être les processus d’acquisition les plus longs et les plus douloureux qui soient, et Dassault avait même envisagé de ne pas y participer. Finalement, le processus sera lancé en 2007, et après un processus d’essais techniques d’une extrême rigueur mené dans les années 2010, le Rafale est déclaré finaliste, aux côtés de l’Eurofighter Typhoon. En 2012, il sera déclaré vainqueur, car le GIE Rafale a proposé l’offre la plus concurrentielle. Depuis 2012, les négociations finales, censées être rapides, vont s’enliser à cause notamment d’un partenaire industriel imposé dans l’appel d’offre, HAL.
Pendant ce temps, l’Indian Air Force voit son nombre d’escadrons fortement diminuer avant d’atteindre un seuil critique (128 avions perdus dans des crashs rien que sur la période 2007-2015). C’est alors qu’en 2015, le gouvernement indien décide d’acheter dans un processus légal dans le cadre d’une urgence stratégique 36 Rafale auprès du gouvernement français.
En France, Mediapart a mené des enquêtes à l’encontre de Dassault Aviation à de multiples reprises depuis plusieurs années, jusqu’à aujourd’hui où sortent les “Rafale papers”.
Loin de faire le buzz médiatique espéré en France (ce dont M. Plenel se plaint ouvertement d’ailleurs), le choix présomptueux de titrer cette affaire avec la formule “Rafale papers” afin de surfer sur la vague des récents scandales politico-financiers, a fait un flop.
Nous avons décidé de revenir aujourd’hui sur tous les éléments entourant cette affaire, et de répondre point par point par des éléments factuels à disposition du public. Mais avant, il est important de faire une rétrospective des précédents articles afin de mieux comprendre le contexte en les analysant. C’est long, mais vous ne risquez pas de vous ennuyer.
Introduction
Mediapart, à n’en pas douter, est un grand média. Non pas par sa taille, mais par le poids médiatique et la notoriété qu’il a acquis ces dernières années, en permettant la révélation d’affaires toutes plus importantes les unes que les autres. Dans le lot, on peut citer l’affaire Cahuzac, à l’époque ministre délégué au budget du gouvernement de François Hollande, qui assura devant la représentation nationale ne jamais au grand jamais posséder de comptes à l’étranger. Une fois les preuves apportées par Mediapart, ce ministre sera envoyé en prison. Ce n’est pas rien, et cette révélation fut, à n’en pas douter, d’utilité publique.
Ce fut également le cas en 2010 pour les affaires Bettencourt-Woerth ayant un lien avec le financement de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007 ainsi que des affaires liées avec le financement de cette même campagne par le clan Kadhafi, révélées en 2012.
Plus récemment, les multiples scandales entourant l’affaire Benalla sont aussi à mettre au tableau des victoires de Mediapart, ou encore la démission du ministre François de Rugy en 2019.
Un média qui arrive à sortir de telles affaires, à faire démissionner un ministre et à en envoyer un autre en prison, sans que jamais une source ne soit inquiétée ? Quoi de mieux, pour n’importe quelle lanceur d’alerte, pour envoyer des documents sensibles ?
C’est donc par le biais de Mediapart que sort une “affaire” à base de révélations voulant mettre à jour une corruption autour de la signature du contrat Rafale en Inde. Enfin… Une affaire ? Pas tout à fait. C’est la cinquième charge signée par Mediapart, au travers d’au moins 8 articles parus depuis 2017.
Nous ferons une analyse détaillée des articles de Mediapart, mais nous ne les reproduirons pas dans leur intégralité, étant donné qu’ils sont en accès payant.
- Article I: 17 novembre 2017: Dassault soupçonné d’avoir enfreint les règles des marchés publics en Inde
- Article II: 21 septembre 2018: En Inde, François Hollande s’invite dans l’affaire des avions Rafale
- Article III: 10 octobre 2018: Affaire des Rafale en Inde: un nouveau document accable Dassault
- Article IV: 23 novembre 2018: Rafale en Inde: une plainte est déposée auprès du Parquet national financier
Article I: Dassault soupçonné d’avoir enfreint les règles des marchés publics en Inde
Dans cet article, aucun début de preuve, aucun document compromettant, seulement des soupçons, comme mentionné dans le titre de l’article, basés sur des conjectures hasardeuses.
L’article s’articule autour de deux principales accusations:
- 1: le fait que le Premier Ministre Indien “aurait tout fait pour “contourner les procédures”” Il est reproché que l’entreprise partenaire indienne pour la co-production du Rafale soit une entreprise privée liée à un milliardaire “copain” du Premier Ministre, Narendra Modi, au lieu de l’entreprise publique HAL, pilotée par le Ministère de la Défense indien.
- 2: L’accusation porte sur l’inexpérience de l’entreprise Reliance pour fabriquer des avions de combat.
- 3: Une “énorme escroquerie” est relevée en abordant le prix du Rafale dans ce contrat, trois fois plus élevé que lors des précédentes négociations (durant le processus MMRCA ndlr)
Point 1: contournement des procédures
Concernant le premier point, il faut expliquer ici que l’accusation est portée par Rahul Gandhi, le principal opposant politique de Narendra Modi. Ce n’est pas Dassault Aviation qui est mis en cause, mais le Premier Ministre Indien.
Avant que ne soit signé un contrat de gouvernement à gouvernement entre la France et l’Inde pour la fourniture de 36 Rafale en Inde, avait lieu un processus d’acquisition via un appel d’offres appelé MMRCA qui a débuté en 2007. Cet appel d’offre ne pouvait aboutir, et c’est via un processus parfaitement légal faisant intervenir un besoin urgent et stratégique que Narendra Modi a signé le présent contrat.
Il faut rappeler que si le contrat MMRCA a pris l’eau pour des raisons que nous allons aborder plus loin, le besoin est toujours là et le contrat des 36 Rafale ne remplace en aucun cas le MMRCA, qui portait sur la fourniture de 126 avions de combat, sans compter les éventuelles options.
Point 2: L’inexpérience de Reliance
L’appel d’offre MMRCA précisait que quel que soit le vainqueur, il lui serait imposé des offsets, ou compensations industrielles, à hauteur de 50% de la valeur du contrat, à réaliser en Inde. L’appel d’offre était clair sur le montant, mais imposait également de travailler avec l’industriel public HAL (Hindustan Aeronautics Limited) en tant que partenaire majeur.
Or, HAL n’est pas reconnu pour la qualité de ses productions. Boeing a résilié en 2015 un contrat portant sur la fourniture d’éléments liés à une compensation industrielle dans le cadre de la fourniture d’avions de patrouille maritime Poseidon P8A, et ce à cause d’une qualité trop faible. Mais c’est loin d’être le seul exemple. Armez-vous de votre moteur de recherche préféré, car nous ne détaillerons pas ici l’ensemble des échecs de cet industriel que nous allons citer, comme par exemple:
- Difficulté et retard dans la production du Su-30 MKI
- Défaut de conception pour un avion d’entraînement avancé le HJT-Sitara le rendant inapte (problème de sortie de vrille), en étude depuis 17 ans.
- Défaut de fiabilité moteur dans l’avion d’entraînement de base HPT-32, cloué au sol pendant 6 ans avant que l’IAF ne décide d’acheter des Pilatus PC7 Suisses sur étagère.
- Défaut dans la conception et l’industrialisation du Tejas, monomoteur de combat très prometteur qui ne peut toujours pas embarquer sur porte avion. Avion non abouti, qui entre progressivement en service au bout de 30 années de conception, à un rythme très faible de production, pour un prix de fabrication supérieur au Rafale pour des capacités bien moindres.
- Un des premier Mirage 2000 modernisé par HAL (après les deux premiers réalisés par Dassault à Istres, et les deux suivants sous assistance Dassault en Inde) s’est écrasé lors d’un vol de réception, tuant ses deux pilotes.
La liste pourrait s’allonger avec quelques recherches, mais est déjà conséquente. Voici le partenaire indien imposé à Dassault après avoir gagné l’appel d’offres.
De source proche du dossier, nous savons que le GIE Rafale comprenant Dassault Aviation et l’ensemble des partenaires industriels (environ 500 entreprises tricolores), ont tenté pendant deux longues années de trouver des partenaires en Inde afin de produire des sous-ensembles du Rafale en Inde. Concernant HAL qui devait notamment se charger de l’assemblage final et de l’industrialisation de grands ensembles, ils n’avaient ni l’outillage, ni les compétences, ni la culture nécessaire liés à la fabrication d’avions conçus en Occident. L’absence d’un accord industriel dans le cadre du contrat MMRCA est en très grande partie liée à de multiples défauts de l’industriel HAL. Non que l’Inde n’était pas capable de fabriquer des éléments du Rafale, mais le tissu industriel n’était pas suffisant. N’étant pas équipé de certaines machines, un Rafale produit en Inde aurait nécessité jusqu’à 2,7 fois plus de temps homme qu’en France, ce qui, en ajoutant le transfert de technologie, aurait rendu un Rafale produit sur le sol Indien plus cher qu’un avion produit sur le sol français.
C’est la raison pour laquelle, Dassault et ses partenaires avaient déjà pris les devant et étudié une solution de contournement en cas d’échec des négociations, en privilégiant d’autres industriels, dont Reliance faisait partie.
Lorsque Dassault Aviation s’appuie donc sur Reliance, une entreprise qui n’a jamais conçu ni fabriqué le moindre avion, c’est à dessein ! Mieux vaut trouver une entreprise vierge de toute expérience dans laquelle tout sera fait de zéro que de s’appuyer sur l’expérience de HAL, riche d’une très longue liste d’échecs en tout genre.
Pour l’anecdote, nous avons appris d’une source locale que lorsque les premiers managers locaux de DRAL (Dassault Reliance Aerospace Limited) étaient fiers d’avoir des profils expérimentés provenant de HAL à présenter, Dassault Aviation les avait refusé, préférant des profils inexpérimentés à former selon des standards différents.
Point 3: le scandaleusement élevé prix du Rafale
Le parti du Congrès que Rahul Gandhi préside fait valoir que le prix pour l’achat de 36 avions s’élève à 203 millions d’euros par appareil, alors que lors de la négociation du MMRCA, le prix unitaire par appareil était de seulement 68,2 millions d’euros. Ces sommes sont obtenues en divisant le prix total du contrat par le nombre d’avions à fournir.
Premièrement, il n’a jamais été question de prix pour le contrat MMRCA, seulement des estimations datant des prémices du MMRCA, en… 2001. Il est donc impossible de comparer un contrat portant sur 36 avions dont le montant est connu à un montant inconnu lié à des négociations qui n’ont JAMAIS pu aboutir.
Ensuite, diviser le montant du contrat par le nombre d’avion pour en obtenir le prix unitaire n’a aucun sens. Car le contrat inclut les armements, le support, une partie de la formation, le développement d’un standard propre à l’Inde et l’aménagement de deux bases aériennes.
Pour mieux comprendre ce point, voir notre article, ou notre vidéo:
Mais si nous souhaitions comparer le prix du Rafale avec ce calcul, pour se donner un ordre d’idée générale, alors nous pourrions le faire avec des contrats signés avec d’autres pays.
Le Qatar a signé en 2015 un contrat de 6,3 milliards d’Euros pour 24 Rafale, soit 262 millions par unité. Deux ans plus tard, une option pour 12 appareils supplémentaires est signée, pour 1,1 milliards d’euros. Soit 91 millions par appareil pour la seule option, ou 205 millions par appareil en divisant la totalité des deux contrats par le nombre total d’avions commandés.
Si on compare les 205 millions d’euros “par appareils” du contrat Qataris aux 203 millions d’euros pour chaque Rafale Indien, qui peut dire qu’il y a ici une quelconque sorte de scandale ?
Personne. Mais présenté sans explications à un public non connaisseur, n’importe quel chiffre peut faire lever une suspicion.
Voici un dernier élément important concernant l’attitude de Mediapart dans cet article. A quel moment avez-vous eu l’impression que Dassault est responsable de quoi que ce soit ? La question est en réalité très simple. Pourquoi Mediapart choisi sciemment d’incriminer Dassault Aviation dans son titre “Dassault soupçonné d’avoir enfreint les règles de marchés publics en Inde”, alors qu’on ne trouve dans l’article aucun soupçon ni aucune accusation envers l’industriel français, ni de la part de son auteur, ni même de la part du principal accusateur cité: Rahul Ghandi.
Notons au passage que l’auteur de l’article offre un contrepoint de choix en citant les affaires de corruption pour lesquelles des membres du parti du Congrès ont été mis en accusation, et qui auraient un intérêt à masquer leur propres vicissitudes en retournant les accusations contre leur principal opposant politique.
Ayant une petite expérience dans le milieu de la presse, il est fort probable que l’auteur, qui n’incrimine aucunement Dassault Aviation, ne soit pas celui qui a choisi le titre de l’article, probablement imposé par la rédaction.
Aricle II: 21 septembre 2018: En Inde, François Hollande s’invite dans l’affaire des avions Rafale
Dans cet article, aucune accusation à l’encontre d’une entreprise française. Il est assez compliqué à lire dans le sens où le déroulement des faits est brouillon, la démonstration floue.
La première ligne du chapeau de l’article reprend néanmoins une citation provenant de celui cité précédemment :
“Soupçonnant une “immense escroquerie”, l’opposition indienne réclame une enquête […] et sur le rôle de Reliance, le partenaire Indien de Dassault. Mais Reliance, c’est aussi un mystérieux financement accordé à un film coproduit par Julie Gayet”.
Les mêmes arguments, provenant du principal opposant à Narendra Modi, seront resservis plusieurs fois au cours de l’article, entre “l’énorme escroquerie” et l’inexpérience de Reliance.
A la page 2 de l’article, nous pouvons voir une citation en intertitre “Il y a un risque industriel sérieux pour Dassault”.
Or, dans le développement qui suit, il est longuement fait mention des ramifications indo-indiennes entre entreprises et investissements, pour tenter d’expliquer que l’entreprise Reliance est liée au financement du film dans lequel Julie Gayet intervient. C’est de la fin de l’article que provient la citation, avec les mêmes allégations que dans l’article précédent, en affichant le fait que Reliance n’a aucune expérience dans le domaine. Les allégations de prix sont une fois de plus abordées dans l’article, sans aucun commentaire de la part de l’auteur qui ne fait que rapporter des allégations d’un opposant politique. Ces arguments ayant déjà été démontés, nous ne reviendrons pas dessus.
Les liens supposés entre la vente de Rafale, le choix de Reliance, et le financement du film “de” Julie Gayet ne seront pas commentés ici. Il ne s’agit ici que de conjectures, un procès d’intention sans preuves avérées, afin de tenter d’apporter un soupçon de corruption. Il est possible effectivement qu’un milliardaire Indien, un des hommes les plus influents de son pays ait souhaité remercier François Hollande par l’entremise d’un financement (et non d’un don. La question mérite d’être posée effectivement, mais loin d’un scandale, ou d’une corruption avérée, on pourrait peut être envisager là une maladresse, voire un geste moralement déplacé au vu des enjeux.
…ou sinon il peut exister une explication bien plus simple. L’entreprise Reliance Entertainment qui est un poids lourd du secteur mondial, qui a notamment financé les studios Dreamworks Pictures de Spielberg à hauteur d’un peu plus de 500 millions d’euros, et coproduit des dizaines de films à l’international (des centaines si on compte les productions locales indiennes), aurait tout à fait pu donner une participation mineure à un film produit par Serge Hazanavicius, qui avait remporté 5 ans auparavant une flopée de titres avec son film “The Artist”. Par conséquent, imaginer qu’un poids lourd du secteur finance un film en partie tourné dans son propre pays, par un réalisateur mondialement reconnu, ne soit finalement qu’une opportunité business ne serait-il pas peut être plus simple ?
Dans cet article, le ton et le développement, le mélange des informations nous préoccupe. Il tente de nous prouver quelque chose, sans l’affirmer, sans accuser, en mêlant les faits dévoilés avec les soupçons de scandales sorties dans le premier article. C’est un article relativement long dans lequel le fil conducteur est difficile à suivre, et qui ne mène à aucune conclusion.
Article III: 10 octobre 2018: Affaire des Rafale en Inde: un nouveau document accable Dassault
Le document qui accable n’est pas présenté
Prenez le temps de lire et relire le titre de l’article. Et de comprendre ce qu’il vous inspire. Nous comprenons premièrement qu’il y a une “affaire”, et qu’un document accable Dassault Aviation. Reformulé, le titre de l’article nous informe qu’il y a une affaire (le mot n’est pas anodin), et que Dassault y est non seulement impliqué, mais accablé. C’est-à-dire que le document en question accuse lourdement l’industriel.
Dans cet article, la mention de ce document n’est pas centrale, et pourrait être totalement oubliée, tant elle est discrète. Le développement s’évertuant à prouver bien d’autres choses que nous commenterons par la suite.
D’un article qui tient sur 4 pages, voici la seule mention du document soit-disant “accablant”
“Chez Dassault Aviation, selon un document obtenu par Mediapart, l’alliance avec Ambani a effectivement été présentée comme une « contrepartie » du contrat de vente des Rafale.”
Une partie de l’argumentaire met en opposition le fait que publiquement, l’industriel ou les autorités françaises affirment que de travailler avec Reliance était un choix, alors que des commentateurs, dont le président François Hollande et ce fameux document affirment l’inverse, c’est-à-dire que le partenariat a été imposé à Dassault.
D’où notre question. En imaginant que la communication présente un monde merveilleux dans lequel il faut dire et afficher que le partenaire Indien des industriels français est un choix, alors qu’en réalité ce choix a été imposé par les Indiens, en quoi cela constitue-t-il une preuve accablante ? Et une preuve qui accuse de quoi ? En lisant l’article, je ne trouve aucune culpabilité à Dassault Aviation au travers de ce montage, particulièrement si cela lui a été imposé. Dassault Aviation, à la vue de ces preuves, ne serait-il pas plutôt une victime ?
Autre question: pourquoi ce document présenté comme accablant n’est pas publié ? J’ai beau être abonné à Mediapart, je ne le retrouve pas.
Lorsque cet article fut sorti en 2018, ce sont des employés de Dassault Aviation, lecteurs sur notre site, qui nous ont communiqué le fameux document en question duquel sont reprises les assertions “accablantes”. Nous l’avions alors publié, et nous le reproduisons ici.
Il ne s’agit ni plus ni moins que d’un document provenant d’un syndicat qui s’inquiète (à juste titre, c’est son rôle) qu’une partie de la production de Dassault Aviation ne soit déménagée à l’étranger, dans un pays aux coûts de productions plus faibles. Il ne s’agit donc pas d’un document interne, et il n’accable en rien Dassault Aviation.
Nous en profitons également pour signifier que l’accusation sur le fait que Reliance ait été imposée à Dassault doit également provenir de ce document, et en est même une mauvaise interprétation. Si vous lisez le détail, il est mentionné que le MAKE IN INDIA était une contrepartie obligatoire, non que l’entreprise en question fut imposée.
Voici comment, en présentant des faits d’une façon complètement biaisée, et en affirmant détenir des preuves qu’on ne présente pas, on peut réussir à travestir la réalité. C’est la définition même de la manipulation. Et la suite ne dément pas ce triste constat.
Dassault et le “Make In India”
L’article faisant très peu mention du document accablant dont il parle dans son titre comme nous venons de le voir, de quoi parle-t-il ?
En début d’article, une photo montrant un terrain vague sur lequel des travaux de terrassement semblent en cours, avec un panneau indiquant que le terrain appartient à Dassault Reliance Aerospace Limited, la co-entreprise formée par Dassault et Reliance (qui sera nommée DRAL dans la suite de l’article)
Je copie ici la totalité du texte disponible en accès libre sur leur site:
“Deux ans après la signature du contrat de vente des Rafale à l’Inde, l’usine ultra-moderne prévue par la joint-venture de Dassault avec son associé indien Reliance se résume à un bâtiment aux allures d’entrepôt. Alors qu’une nouvelle plainte a été déposée à New Delhi, un document obtenu par Mediapart montre que Dassault considérait cette alliance comme une « contrepartie », « impérative et obligatoire », pour décrocher le marché.”
Puis continue :
“C’était une vraie fausse inauguration. Une « première pierre » symbolique posée sur du gazon prédécoupé, sous un chapiteau de circonstance, à Nagpur (centre de l’Inde), mais qui annonçait le début de la construction de la « future usine » Dassault-Reliance. Selon un document interne à Dassault obtenu par Mediapart, un haut cadre du groupe d’aviation avait expliqué aux représentants du personnel que la joint-venture était une « contrepartie », « impérative et obligatoire » pour décrocher le marché du Rafale.”
Le reste de l’article est en accès payant. Ici, tout est fait pour nous faire comprendre que des promesses ne sont pas tenues. La phrase suivante est assez claire sur l’intention du message que souhaite faire passer son auteur:
“l’usine ultra-moderne prévue par la joint-venture de Dassault avec son associé indien Reliance se résume à un bâtiment aux allures d’entrepôt”
Suivie plus tard de la mention d’une “vraie fausse inauguration”. Sûr de son fait, nous prouve son art de la suggestion au travers de la phrase suivante:
“Le 27 octobre 2017, Anil Ambani, patron du groupe Reliance, un proche du premier ministre indien Narendra Modi, avait pris dans ses bras la ministre des armées Florence Parly”
Même si vous n’êtes pas familier avec l’art de la rhétorique, vous devriez très bien comprendre ce que cette phrase insinue, en mettant l’emphase sur un geste qui peut avoir plusieurs significations suivant la façon dont on le rapporte: “a pris dans ses bras”.
L’ensemble de ces éléments nous permettent de prouver premièrement que l’auteur ne prend pas de distance avec les faits, mais les met en scène afin de présenter sa version de la réalité, et ce afin d’incriminer Dassault Aviation. L’article est par conséquent factuellement à charge.
La photo en une présente un terrain vague, le site de la future usine de DRAL. Puisqu’il est établi que nous avons à faire à un article à charge, tous les faits sont présentés pour appuyer une opinion prédéfinie. En choisissant une telle photo, plutôt que d’afficher la photo de l’usine déjà présente et que l’auteur qualifie d’entrepôt (comme si l’aspect extérieur d’un bâtiment pouvait laisser préjuger de l’activité qui y est réalisée à l’intérieur), il choisit un terrain vague. En parlant de vraie/fausse inauguration, et en mettant l’emphase sur le qualificatif “ultra-moderne”, l’auteur accuse Dassault Aviation de ne pas réaliser ses promesses.
Voici une image de l’intérieur du bâtiment téléchargée en février 2019 sur Google Maps:
On y reconnaît bien des bâtis d’assemblages et des éléments de production de sous ensembles de Falcon 2000.
Une capture de Google Maps a également été présentée:
En exclusivité, le Portail des Passionnés d’Aviation vous présente l’état du site sur une image de Google Maps datant de 2021:
Alors que la France a produit à ce jour environ la moitié des Rafale Indiens, on peut constater que des bâtiments ont bien été construits et que la zone s’est bien agrandie, avec l’apparition de plusieurs autres bâtiments, y compris une joint-venture entre Thales et Reliance, installée un peu plus au sud dans la même zone.
N’ayant pas accès à un compte professionnel sur l’application Google Earth qui nous aurait permis d’avoir un historique des images, quelques recherches dans les images du site nous permettent néanmoins de retracer une partie des travaux.
Voici donc une photo des travaux prise en mars 2019
Il faut comprendre que les compensations industrielles, qui atteignent 50% des montants payés par l’Inde dans le cadre du contrat sont reversées au fur et à mesure que Dassault et ses partenaires reçoivent leur paiement. En effet, l’Inde n’a pas payé comptant la totalité des 7 milliards estimés du contrat, mais a versé un acompte au fur et à mesure de l’avancée de la production. De même, les industriels français ont investi progressivement dans le tissu industriel Indien.
Nous avons en notre possession le magazine Dassault Mag, datant de l’été 2018, titré “Spécial Make in India”, et dans lequel est présenté l’ensemble des partenariats entre Dassault et l’Inde, bien au-delà de l’exécution des contreparties liées au contrat Rafale. La lecture de ce magazine, paru avant l’article de Médiapart, contredit complètement l’ensemble des assertions présentées.
Lorsque Mediapart présente un terrain en cours de viabilisation, ainsi qu’un bâtiment, certes modeste, mais déjà construit, il démontre que les travaux sont bien en cours. Je ne sais pas qui pourrait s’imaginer que deux ans seulement après la signature du contrat des bâtiments seraient déjà construits et opérationnels, mais c’est pourtant bien ce que l’article de Mediapart insinue.
Je note personnellement que pour un contrat de “seulement” 36 avions, les investissements réalisés dans le pays clients sont réellement importants, et sans vouloir abuser de termes élogieux, on peut parler de “jamais vu”. Dassault Aviation et ses partenaires n’ont pas seulement subi ces compensations industrielles, mais ont vu l’opportunité de se développer dans un sous continent dont les perspectives de croissances sont très importantes.
En prenant pied de la sorte et en construisant une base industrielle de défense aéronautique solide, les industriels français se placent en position de force lorsque l’Indian Air Force, mais aussi l’Indian Navy devront faire le choix de leurs futurs équipements.
Le reste des reproches
Pour le reste, nous avons droit à une resucée des arguments repris de la bouche des opposants politiques de Narendra Modi, avec des avions deux fois plus coûteux, ou du fait que Reliance est une coquille vide, sans expérience dans la production de matériels de défense. Arguments qui sont repris tels quels, sans la moindre mise en perspective, mais qui servent à l’auteur à rajouter une couche de suspicion.
Point à faire sur la manipulation via les titres d’articles.
C’est le second article dont le titre ne reflète pas le contenu de l’article. Difficile d’imaginer qu’il s’agit là d’une erreur. Le titre est un élément accrocheur, dont nous savons désormais qu’il est retenu et partagé par la majorité des lecteurs sans que le contenu de l’article ne soit lu. C’est donc un élément très important pour un média lorsqu’on veut faire passer un message.
Autre exemple, il suffit de lire ce qui est dit d’Anil Ambani. Avant de lire le passage, voici deux questions à destination de nos lecteurs :
-1 pensez vous que Anil Ambani est présenté de façon neutre ?
-2 La description est-elle juste ?
-3 La description du personnage est-elle pertinente?
extrait:
“Le souci, c’est qu’Ambani est un inconnu du secteur de l’armement. Patron d’un groupe de télécommunication surendetté, il a, de son propre aveu, été orienté vers ce secteur par le Premier Ministre lui-même”
En mettant de côté le fait qu’un ami personnel du premier ministre puisse recevoir un conseil d’investissement dans un secteur dans lequel il n’est pas présent n’est ni un crime ni un problème, attardons nous quelques instants sur la description du personnage.
“Patron d’un groupe de télécommunication surendetté”
Anil Ambani n’est pas que le propriétaire d’un groupe de télécommunication. Il est propriétaire d’un des plus gros conglomérat au monde nommé Reliance Anil Dhirubhai Ambani Group, présent dans la santé, l’industrie navale, les télécommunications, l’énergie, les transports, les infrastructures routières, la pétrochimie, etc. Oui, des investissements hasardeux ont fait chuter le résultat net en 2019, et oui, la personne se trouve endettée. Mais quel est le rapport ? Il s’agit ici ni plus ni moins que d’une tentative de décrédibilisation qui a, il faut le dire, un lien très indirect avec le sujet, mais qu’il était opportun de pouvoir placer. Nous le rappelons, il s’agit d’articles à charge.
Quand il y a une dissonance forte entre le titre et le contenu de l’article, et que les faits sont présentés de façon à appuyer une opinion et non l’inverse, voire qu’ils sont complètement faux, la manipulation n’est plus suspectée, elle est avérée. C’est d’autant plus dommage lorsque nous avons à faire à un média aussi important que Mediapart, dont l’intégrité journalistique est ici mise à rude épreuve.
Article IV: 23 novembre 2018: Rafale en Inde: une plainte est déposée auprès du Parquet national financier
Cet article tient sur une seule page, et commence comme suit:
“Selon nos informations, l’association Sherpa a déposé plainte auprès du parquet national financier”.
Une formulation attire le regard, celui de “selon nos informations”. Or, le même jour où mediapart publie son article (soit le 23 novembre), Sherpa produit un communiqué de presse dans lequel il annonce publiquement avoir porté plainte.
Ce qui est écrit ici n’est que pure conjecture, mais la lecture des nombreuses manipulations déjà dénoncées nous invite à la prudence et à une suspicion de l’intention des auteurs. En effet, la formule “selon nos informations” indique que l’information n’est pas encore publique, et que Mediapart est bien renseigné. A la lecture de l’article de presse initial du site de Sherpa qu’on peut consulter sur le site Web.archive.org, Mediapart est mentionné.
Ainsi, Mediapart se détache de l’accusation portée par l’association Sherpa, et annonce par là une nouvelle charge menée par une tierce organisation. Dans le même temps, Sherpa base sa plainte sur :
1- L’enquête démarrée en Inde
“Cette plainte fait suite à celle déposée le 4 octobre 2018 par un ancien ministre et un avocat anti-corruption indiens auprès du Bureau central d’investigations de New Delhi en Inde, contre le Premier Ministre indien Narendra Modi pour « abus de pouvoir » et « octroi d’avantages indus » dans le cadre de la vente des Rafale”.
Cette plainte a été déposée par le parti BJP, et ne repose sur aucun élément factuel comme nous l’avons vu précédemment. Les allégations seront rapidement balayées, et la plainte sera classée sans suite. Comme l’a d’ailleurs rappelé Mediapart dans le premier article, Rahul Gandhi, en s’acharnant à tenter de prouver une corruption, tentait également de faire oublier l’énorme scandale dans le cadre de la corruption avérée sur plusieurs contrats signés à l’étranger.
2- Les faits révélés par Mediapart
Mediapart n’a révélé aucun fait, comme nous l’avons vu, et a repris tous les points d’accusation portés par Rahul Gandhi, principal opposant de Narendra Modi. Tous les arguments apportés par Mediapart se sont révélés erronés, voire mensongers.
3- Une enquête réalisée par Sherpa
Enquête dont nous ne connaissons pas le contenu. Nous avons joint par téléphone l’association Sherpa qui nous a communiqué le nom de la personne chargée de ce dossier, à qui un mail a été envoyé le 19 avril. Dans l’attente d’une réponse de leur part, nous ne pouvons nous prononcer sur les faits dont ils pourraient avoir connaissance et qui auraient motivé leur propre dépôt de plainte.
A ce stade, plusieurs possibilités sont envisageables. Soit Sherpa dispose d’informations importantes légitimant le dépôt d’une plainte, soit les informations présentées par Mediapart et les médias indiens ont motivé les membres de Sherpa à ouvrir une enquête, peu aidés par une méconnaissance de ces affaires.
Il est également probable que Mediapart et Sherpa ont fait front commun, auquel cas le terme “selon nos informations” apparaîtrait clairement comme une manipulation.
Ce dernier point semble confirmer le choix malheureux de la formule “selon nos informations”, puisque le reste de l’article cite directement le fondateur de l’association Sherpa, M. William Bourdon. Les éléments qu’il cite et qui motive sa plainte sont un copier/coller des allégations qui agitaient à ce moment précis la sphère médiatique Indienne.
Autre élément abondant dans ce sens, Sherpa a annoncé avoir relancé ses poursuites suite aux dernières “révélations” de Médiapart que nous traiterons dans notre prochain volet consacré à cette affaire.
Le reste de l’article n’apporte aucun élément factuel supplémentaire.
Conclusion
Mediapart a publié toute une série d’articles dont le contenu, fortement à charge à l’encontre de Dassault Aviation, ne se base sur aucun fait précis. Les quelques allégations ne s’appuient pas sur des éléments solides, et les quelques “preuves” apportées ne sont que des interprétations ou pire, des mensonges. Il était important pour nous de faire un point sur ce fait avant de s’attaquer au fond de l’affaire dite des “Rafale papers” que nous publierons prochainement.
4 Comments
Machin 10
Très bon article ! On veut la suite maintenant.
Bruno ETCHENIC
Pas tout de suite… La suite demande un travail conséquent 😉 La loi de Brandolini, vous connaissez ? 😉
Machin 10
Je comprends qu’un tel article prends beaucoup de temps à écrire … mais avec la Suisse qui risque fort de choisir le Rafale, on peut être sûr que la coalition anti-avion (PS, Verts et GSsA) va chercher n’importe quel angle d’attaque pour calomnier cet achat … et à ce moment avoir un article rédigé par quelqu’un s’y connaissant sera d’or, pour démêler les tentatives de manipulations, des soupçons de corruption vraisemblable (s’il y en a).
thome
Totale hypocrisie ds cette affaire : tout le monde sait que ds certains pays il est impossible de conclure des contrats sans dessous de table . l’industrie de l’armement francaise est la seule ds le camp occidental a etre totalement independante des US . lorsque mediapart et les associations auront reussi a la couler plus rien ne s’opposera a l’imperialisme industriel des americains en matiere d’armement . … Merci mediapart